I wasn't thinking when I looked into your eyes
I wasn't dreaming, I was running to the past
Through the color of your eyes, it was you.
You.

Every beginning was an ending from the start
Leaving and leaving while the truth was passing by.
I´ll pretend I would've knew
Time like a flower is a dangerous gun
Given the hour there was nothing else to do but run
Through the color of your eyes, it was you.
You.

Tu aimes les écouter. Lui, le violon aigre-doux au pelage brillant et boisé, et son compagnon, le violoncelle qui semble si grave, si triste mais qui pourtant exacerbe le rythme de la vie de son archer d'opale. Et surtout, surtout, le grand piano blanc à la voix fluette dont on voit le son danser. Tu aimes les écouter réunis, assise sur ta chaise, les mains sur tes genoux, immobile. Tes pensées vagabondent, tournoient, puis sombrent dans le néant. La grande pièce aux murs de pierre blanche t'entoure, t'emprisonne. Mais, tu ne veux pas bouger, tu ne veux pas t'échapper.

Les grandes fenêtres à loquet laissent apercevoir le doux paysage enneigé ; et la pièce s'agrandit sous leur lumière claire. Le carrelage, blanc, semble glacial comme le temps et la météo d'aujourd'hui. Tu es lasse, tu t'ennuies. Aujourd'hui, particulièrement, tout est vide. Dans ce grand château entièrement blanc, les seules couleurs qui subsistent sont celles des gens qui y habitent, celles de tes cheveux et de tes yeux et celles de tes serviteurs.

Tu n'as ni eu d'enfance malheureuse, ni un meurtre sur tes épaules, ni des pleurs répétés toute la journée car le monde est trop injuste vis-a-vis de toi. Il y a juste un silence profond ponctué de notes répétitives qui se confondent avec la pâleur de tes nuits. Tu as fait fi de tout ça, tu te contentes d'attendre tranquillement que la mort vienne, qu'elle t'emporte. Non pas que tu sois malade, mais de toute façon, tu ne peux plus, ou presque plus rien faire. Tu gardes le silence, tu restes là. Il faut sourire et accepter.

Même si tu trouves le temps long et que tes zygomatiques te font mal, tu continues, continues, continues, continues comme une damnée. Aujourd'hui, tu t'appelles Hane, demain, tu ne seras peut-être plus rien qu'un simple tas de cendres, hier, tu étais encore Ici. Tu passes tes journées Ici, avec pour seule consolation ce que peut t'apporter cette pièce froide, le son des instruments et le chant des oiseaux.

Tous les jours, des serviteurs viennent jouer et t'emplir de mélancolie, comme si tu étais un verre de whisky destiné à un habitué du bar. Toujours la même chanson, toujours la même chose. Mais tu n'as pas l'air de t'en lasser, alors ils continuent, t’obéissant au doigt et à l'œil. Ils ne parlent pas, ils restent silencieux. Tous les jours, ils t'apportent ton repas, te lavent, t'amènent te soulager et te couchent sur ton matelas quand tu as sommeil.

Vous devez vous demander le pourquoi de tout ceci, n'est-ce pas ? Hane est paraplégique. Elle ne peut plus bouger, demeurant dans sa solitude, de toute façon incapable de quoi que ce soit. Seules ses expressions restent. Seule sa voix retentit. Elle n'a jamais chaud, jamais froid, elle ne sent plus rien. Et au lieu de se laisser aller, elle combat, fière ; et chante, même si sa voix est brisée. Elle ne veut plus se laisser aller.

Pendant des années, la seule chose qui l'importait était son malheur. Elle était triste, sombre, morne. Les serviteurs la baladaient dans le parc les jours de neige, la poussant sur son fauteuil roulant, sa seconde prison. Prisonnière de cette chaise, prisonnière de sa tristesse, prisonnière du vide. Elle ressassait les moments tragiques de sa vie sans en voir les bons côtés. Un jour simplement, elle arrêta. La lassitude avait emporté sa morosité.

De cette bonne résolution naquit ce qu'elle baptisa « Sucra Dream ». Naquit également ce qu'elle nomma « Gens » ; vous. Seconde idée : ces gens auraient tous un don. Un don particulier, un don unique à chacun. Après tout, c'était un rêve. Elle inventa des centaines de personnes, une ville, un monde. Des figurants, des personnages importants, des fous, des vieux, des salauds, des cons, des érudits, des fourbes, des gentils, des lourds, des collants, des gueulards. Et dans toute cette ribambelle de gens, il y avait Elle. Elle, c'était Hane. Et Hane était devenue Sucra. Et Sucra n'était plus immobile, n'était plus paralysée désormais ; c'était une personne normale, qui pouvait bouger, rire, hurler, lever les bras, danser, se déhancher et sentir le sol sous ses pieds, sentir la vie.

Vous, vous êtes dans sa tête. Vous êtes dans ce rêve, son rêve, le rêve de Hane, le rêve de Sucra. Vous êtes ses créations de toute pièce. Et lorsqu'elle sombrera, vous vous effondrerez avec elle, en bons amis, en bons serviteurs de son égoïsme et de son ennui. Mais en attendant, ce monde vous appartient. Enjoy yourself.